La mondialisation change de visage. Le contexte international est tendu, la fragmentation et la polarisation sont croissantes. Un climat qui redessine la carte du commerce mondial, notamment celle des chaînes de valeur. En filigrane, une tendance émerge: le friendshoring ou la relocalisation «chez les amis»… Vraie solution ou problème pour les entreprises?
Guerre en Ukraine, conflits au Moyen-Orient ou tensions sino-américaines, les relations internationales sont crispées. Ce scénario explosif intervient après la période covid, une crise énergétique ou une inflation galopante, et en parallèle de profonds défis environnementaux. Dans ce climat contracté, les États font-ils passer les considérations géopolitiques avant les décisions économiques? À commencer par les États-Unis, premier pays à mettre la notion de friendshoring sur la table. Côté entreprises, l’incertitude règne.
Petits commerces entre amis
Après des années de libre-échange et de délocalisations sans frontière (offshoring), la pandémie a exposé les fragilités des chaînes d’approvisionnement mondialisées et a ravivé la flamme de la proximité commerciale, via la relocalisation nationale (reshoring) ou proche géographiquement (nearshoring). Désormais, alors que la déglobalisation semble être au programme, la tentation du friendshoring avance. La première à avoir dégainé le concept? Janet Yellen, secrétaire au Trésor américaine, en avril 2022, faisant de la «fiabilité politique des partenaires des États-Unis», un critère clé dans la structuration des chaînes d’approvisionnement et de logistique mondiales. Ce changement de paradigme est loin d’être neutre…
La rivalité sino-américaine au cœur du jeu
Ce n’est pas nouveau: les États-Unis et la Chine se livrent une guerre commerciale sans relâche, qui débouche sur un virage sécuritaire de la politique commerciale de la Maison-Blanche. Agressive sur le plan verbal et tarifaire avec Donald Trump, la stratégie américaine se durcit avec Joe Biden en matière de sanctions, règles et restrictions. Notamment, via l’adoption de deux dispositifs législatifs (Inflation Reduction Act, Chips and Science Act) visant à accélérer le rapatriement des chaînes d’approvisionnement technologiques, et donc à pénaliser l’expansion du rival systémique chinois. Une illustration de re-, near-et friendshoring, profitant entre autres au Mexique, désormais premier partenaire commercial des États-Unis.
Les amis avant les intérêts?
Historiquement, l’optimisation des coûts était le facteur décisif d’une (ré) implantation des moyens de production d’une entreprise, entre autres en quête de plus bas salaires. Avec le friendshoring, entre-t-on dans une nouvelle ère, où les décisions sont essentiellement pilotées par la géopolitique? Exit le multilatéralisme, place à une logique des blocs, qui entrainerait dans son sillage les économies mondiales, forcées de choisir un «camp». Or, pour paraphraser de Gaulle, les États ne devraient-ils pas se contenter d’avoir des intérêts, pas des amis? Dans cette logique commerciale, l’UE ne se retrouvera-t-elle pas coincée entre sa loyauté envers les USA et les intérêts, potentiellement divergents, de ses entreprises?
Entre inquiétudes et choix
Poreuse aux arguments géopolitiques, plus qu’aux facteurs économiques, la relocalisation «entre alliés» n’est donc pas une doctrine sans écueils pour les entreprises, qui évoluent déjà dans un climat incertain et risqué. Inquiets, les dirigeants activent plusieurs leviers: l’adoption croissante de la digitalisation; la solidification des partenariats; la diversification des canaux d’approvisionnement et de distribution; l’élaboration de scénarios; mais aussi la relocalisation de certaines activités sur des marchés… amis! Preuve que le friendshoring commence à faire des émules auprès des entreprises, tentées par plus de sécurité et une plus grande résilience de leur chaîne de valeur, quitte à se replier dans «son monde»…