Le paradoxe du modèle Spotify: innovation, agilité et mythologie

Devant Apple Music, Deezer ou Amazon Music, Spotify mène la danse dans le secteur ultra-compétitif du streaming musical. Avec plus de 600 millions d’utilisateurs, la licorne suédoise a réussi à s’imposer en misant sur l’innovation, notamment en termes d’organisation du travail. Devenu un modèle de management agile, tout n’est pourtant pas rose au royaume de Daniel Ek. 

Commençons par les origines du géant suédois, en 2006. À l’époque, les plateformes pirates de streaming musical pullulent sur Internet. Conscient de l’impossibilité de légiférer et de contrôler la piraterie, Daniel Ek décide de prendre le contrepied des sites illégaux. Sa réponse? Fonder Spotify, comme un service légal qui soit «meilleur que la piraterie tout en payant l’industrie de la musique». 18 ans plus tard, on peut dire que le pari est réussi, puisque la licorne de Stockholm, capitalisée à hauteur de 31,36 milliards d’euros (novembre 2023), est le leader du streaming musical par abonnement avec 236 millions d’abonnés payants, devant un mastodonte comme Apple Music! C’est le premier tour de force de Spotify…

Innovation à tous les étages

Le développement de Spotify illustre bien le concept de scaling des activités. Lancée officiellement en 2008, la startup, devenue licorne, ne dépasse le million de clients qu’en 2011. Entrée en bourse en 2018, la société atteint aujourd’hui des sommets, puisqu’elle revendique 100 millions de titres, 5 millions de podcasts et 600 millions d’utilisateurs sur une centaine de marchés. Une montée en puissance qui repose sur un business model clair depuis le départ: des revenus générés par la publicité (comme Deezer), mais aussi par des abonnements payants. Cette stratégie rémunératrice a très vite convaincu les majors de l’industrie musicale, échaudées par la piraterie du début des années 2000! Par ailleurs, outre un pivot technique en 2014, au cours duquel Spotify passe d’un système hybride pair-to-pair vers une architecture de type client-serveur, le géant suédois est aussi parvenu à grandir «par acquisition». En 2014, le rachat de The Echo Nest, plateforme musicale intelligente, offre à Spotify les compétences en matière de playlists. En 2019, c’est au tour de Gimlet Media, véritable spécialiste de la production de podcast, autre cheval de bataille de Spotify.

Une organisation qui fait «rêver»

Très tôt, Spotify a été confrontée à un défi classique de la croissance des startup: comment rester agile lorsque le nombre d’employés est multiplié par cinq, dix ou vingt? La société a opté pour une approche unique, afin de préserver la simplicité, l’autonomie et l’agilité à grande échelle. Le but? Encourager l’innovation et la productivité en se concentrant sur la communication, la responsabilité et la qualité. Mais à quoi ressemble cette organisation? Dans son siège de Stockholm, des squads autogérées de six à douze personnes se concentrent sur un domaine ou fonctionnalité, selon une méthodologie autonome et choisie. Une mission unique, appuyée par un coach agile pour le support et un product owner pour les conseils. Ensuite, pour maintenir la cohérence globale et le partage des savoirs, les squads sont organisées en grandes tribus, gérées par un responsable. En parallèle, les chapitres organisent les familles de spécialistes (développeur JavaScript, etc.). Quant aux guildes, elles sont des communautés transversales d’intérêts. Enfin, trios et alliances forment d’autres combinaisons, toujours avec le même objectif: favoriser la collaboration et l’alignement.

Vrai mythe ou faux modèle?

Cette expérience de management a été largement documentée, voire savamment diffusée (livres blancs, podcasts, etc.), faisant du «modèle Spotify» un modèle du genre, souvent copié. Mais tout n’est pas rose au sein du géant du streaming musical… En effet, certains ont vécu de l’intérieur ce «chaos organisationnel». Par ailleurs, les derniers échos de la société suédoise confirment les brèches. Toujours pas rentable, Spotify affichait 532 millions d’euros de pertes (2023) et poursuivait sa troisième vague de licenciements en un an, soit le départ de 1.500 personnes (17% des effectifs), fruit du «fort ralentissement économique». Preuve qu’il faut se méfier des «modèles à copier», tant la structure et l’organisation d’une entreprise sont des équations complexes et singulières. La véritable innovation ne réside pas dans la copie, mais dans la capacité à s’inspirer pour créer sa propre réalité, fidèle aux valeurs et à l’identité interne!

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