De la « Patent BOX » à « L’IP BOX » en France

Le Groupe international MoneyOak, expert de l’IP BOX, a relevé et traduit cet article d’Elke Asen (Global Tax Policy Analyst chez Tax Foundation. Juin 2019).En effet, les évolutions successives de la Patent Box puis de l’IP BOX s’inscrivent largement dans le cadre du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting – érosion de l’assiette fiscale et transfert des bénéfices) dont l’objectif initial est la lutte contre l’optimisation fiscale.

BEPS, ce sont 15 thématiques (actions) de lutte contre l’optimisation fiscale. La dimension « harmonisation des pratiques » en est un fil d’Ariane. 

Comment les Patent Boxes influent sur les entreprises et maintenant l’IP BOX !

Alors que certaines entreprises s’appuient fortement sur un capital tangible, comme les machines et les bâtiments, d’autres s’appuient davantage sur la propriété intellectuelle (PI), comme les brevets, les logiciels ou les processus de production. De nombreuses juridictions fiscales ont un traitement spécialisé pour les revenus tirés de la PI, certaines offrant un traitement fiscal plus favorable que d’autres.

Imaginons une entreprise de fabrication allemande qui détient des brevets sur plusieurs de ses produits. Cette entreprise vend ses produits brevetés et concède en outre le droit d’utiliser ses brevets à d’autres entreprises et reçoit en contrepartie des droits de licence. L’Allemagne ne prévoit pas de traitement fiscal préférentiel pour les revenus de la propriété intellectuelle, et les revenus tirés des brevets seraient donc soumis à l’impôt sur les sociétés. (Le taux combiné d’imposition des sociétés en Allemagne est de 29,8 %).

L’invention des boîtes à brevets

Dans le but d’encourager et d’attirer l’innovation, un certain nombre de pays ont mis en place des « Patent Boxes » (également appelées « boîtes à innovation », « IP Boxes » ou « boîtes à connaissances ») au cours des deux dernières décennies. En substance, une Patent Box offre un taux d’imposition effectif plus faible sur les revenus tirés de la PI. Le plus souvent, les types de PI admissibles sont les brevets (y compris les certificats de protection supplémentaires et les droits connexes) et les droits d’auteur sur les logiciels. Certains régimes de PI incluent également les marques, les droits d’auteur, les formules et les dessins industriels 1. Selon le régime des brevets, les revenus tirés de la PI peuvent inclure des redevances, des droits de licence, des gains sur la vente de la PI, des ventes de biens et de services incorporant la PI et des dommages-intérêts pour violation de brevet.

Les objectifs déclarés des Patent Boxes sont d’encourager la R&D locale, d’inciter les entreprises à localiser la PI dans le pays et d’accroître la compétitivité internationale d’un « code fiscal ». Les crédits d’impôt pour la R&D sont une autre forme d’allégement fiscal visant à encourager la R&D. La principale différence est que les crédits d’impôt pour la R&D réduisent effectivement le coût de la R&D, tandis que les boîtes à brevets réduisent les impôts sur les bénéfices résultant de la R&D.

Pour éviter de payer le taux relativement élevé de l’impôt sur les sociétés en Allemagne, l’entreprise manufacturière allemande peut décider de transférer ses brevets dans une société holding située dans un pays qui offre un régime de patent box, comme le Luxembourg. Au Luxembourg, les revenus tirés des brevets sont imposés à un taux de 5,2 %, soit 24,6 points de pourcentage de moins que le taux combiné d’imposition des sociétés en Allemagne. Jusqu’à récemment, cela était relativement facile à faire, notamment parce que la propriété intellectuelle est très mobile et que certains pays, comme le Luxembourg, n’exigeaient aucune activité de R&D sous-jacente de la part de l’entreprise contribuable. Ainsi, la division R&D du fabricant pouvait rester en Allemagne tandis que les brevets qui en résultaient pouvaient être déplacés.

Changer la donne : L’approche Nexus modifiée

Au cours de la dernière décennie, les Patent Boxes attirant la propriété intellectuelle d’entreprises étrangères sans exigence d’activité de R&D, comme dans le cas de notre fabricant allemand, ont fait l’objet d’un débat plus large sur les pratiques fiscales mondiales. L’OCDE et l’Union européenne ont exprimé leurs inquiétudes quant à l’utilisation des Patent Boxes comme outil de transfert de bénéfices. En conséquence, en 2015, les pays de l’OCDE ont convenu d’une approche Nexus modifiée pour les régimes de propriété intellectuelle dans le cadre de l’action 5 du plan d’action BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) de l’OCDE2.

Cette approche Nexus modifiée exige un lien entre les dépenses de R&D, les actifs de PI et les revenus de PI. Plus précisément, l’avantage fiscal pour les revenus tirés de la PI doit être proportionnel aux dépenses de R&D du propriétaire de la PI. Les avantages fiscaux découlant des acquisitions de PI et de la R&D externalisée peuvent également être réclamés, mais sont limités à un total de 30 % des dépenses de R&D du titulaire de la PI. Les actifs de propriété intellectuelle liés au marketing, tels que les marques, sont exclus des avantages fiscaux. Aucun nouvel[AVO3]  entrant n’est autorisé dans les anciens régimes de PI et tous les anciens régimes de PI doivent être abolis d’ici 2021. La R&D ne doit pas être entreprise au niveau national, car cela aurait enfreint le droit européen. Selon le rapport d’étape 2018 de l’OCDE sur les régimes préférentiels, depuis janvier 2019, « tous les régimes de PI sont, à une exception près [la France, mais des mesures ont été prises entre-temps], désormais soit abolis, soit modifiés pour être conformes à l’approche Nexus. »

Avec cette approche Nexus modifiée, l’entreprise manufacturière allemande ne pourrait profiter pleinement du taux d’imposition luxembourgeois plus faible sur la PI que si ses dépenses de R&D ont lieu au sein de sa société holding luxembourgeoise, ce qui nécessiterait de délocaliser sa division R&D. L’autre option serait de ramener les brevets en Allemagne. Dans tous les cas, une restructuration coûteuse des activités de PI sera nécessaire pour certaines entreprises. Ces impacts dépendent de facteurs tels que la mobilité de l’activité de R&D et les taux d’imposition effectifs sur les brevets (y compris la déductibilité des dépenses de R&D) et de la question de savoir s’il est économiquement plus judicieux de délocaliser la division de R&D ou de ramener les brevets.

D’un point de vue économique, la nouvelle approche Nexus a considérablement modifié le système d’incitation à l’activité de R&D et peut entraîner des coûts de restructuration substantiels pour certaines entreprises. Comme pour tout changement de politique fiscale, les entreprises réagissent aux nouvelles incitations. En fonction de ce que les entreprises considèrent comme la réponse optimale en matière de restructuration, les activités de R&D ou les actifs de propriété intellectuelle sont délocalisés et les juridictions fiscales gagnent ou perdent des recettes fiscales.

L’économie des Patent Boxes / IP-BOX.

Comme l’approche Nexus modifiée pour les régimes de PI n’a été introduite que récemment, il ne s’est pas écoulé assez de temps pour une analyse approfondie de ses effets économiques. Jusqu’à présent, les recherches se sont concentrées sur les effets des Patent Boxes/ IP-BOX avant la mise en œuvre de l’approche Nexus modifiée.

Une étude réalisée en 2014 par Rachel Griffith, Helen Miller et Martin O’Connell et publiée dans le Journal of Public Economics a révélé que les entreprises sont plus susceptibles de localiser les brevets dans les pays offrant des taux d’imposition effectifs relativement plus faibles sur les revenus tirés des brevets que dans les pays ayant des taux plus élevés. Toutes choses égales par ailleurs, les entreprises préfèrent les pays où elles ont associé une activité innovante réelle. Leurs estimations montrent également que si les Patent Boxes attirent effectivement la PI des pays étrangers, la perte de recettes fiscales due au taux d’imposition préférentiel inférieur tend à dépasser les gains de recettes provenant de brevets supplémentaires, ce qui entraîne une perte de recettes nette.

Un article de 2015 d’Annette Alstadsater, Salvador Barrios, Gaetan Nicodeme, Agnieszka Maria Skonieczna et Antonio Vezzani publié par la Commission européenne a également constaté que l’enregistrement des brevets est réactif aux taux d’imposition plus faibles fournis par les Patent Boxes. En outre, les brevets ont tendance à être délocalisés sans les activités de R&D sous-jacentes. De manière surprenante, leurs résultats montrent que l’importance du traitement fiscal préférentiel est négativement corrélée à l’activité de R&D locale. Cependant, les conditions de développement de la R&D pour les revenus dérivés de la PI ont tendance à encourager l’activité de R&D locale.

Aujourd’hui, alors que la mise en œuvre de l’action 5 du BEPS concernant les régimes de PI est toujours en cours d’examen et que les entreprises réagissent encore aux nouvelles règles, le débat se poursuit pour savoir si les règles actuelles permettent une imposition correcte des bénéfices réalisés par les multinationales. Mais avant d’avancer de nouvelles propositions, les décideurs politiques devraient s’accorder un peu de temps pour laisser les effets économiques de l’approche Nexus modifiée se déployer. 

Conclusion

Comme pour tout changement de politique fiscale, il y a des compromis à faire. L’approche Nexus modifiée ajoute une couche supplémentaire de complexité à la question déjà complexe de l’imposition des revenus de la propriété intellectuelle. L’établissement d’un lien entre les avantages fiscaux accordés aux revenus de la propriété intellectuelle et les activités de recherche et développement qui y sont associées a changé la donne et incitera probablement certaines entreprises à restructurer et à délocaliser leurs actifs de propriété intellectuelle et leurs activités de recherche et développement. Les taux d’imposition effectifs sur les revenus de la propriété intellectuelle joueront probablement un rôle important dans la détermination des emplacements optimaux, ce qui donnera plus d’importance à des mesures telles que les Crédits d’Impôt Recherche. Il reste à voir si cette nouvelle approche de l’imposition de la PI aura un impact sur le transfert de bénéfices et quels pays seront les gagnants et les perdants.

Notes MoneyOak :

1 : également en France les Certificats d’Obtention Végétale
2 : voir « Les Actions du projet BEPS » en particulier l’action 5  et le rapport « Cadre inclusif sur le BEPS de l’OCDE et du G20« 

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